« Monsieur le Président,
Mes chers collègues,
Le Président Emmanuel Macron a choisi, pour s’exprimer, la forme la plus commode. Cette forme c’est celle du congrès où, sitôt achevé son discours, il s’échappe. Le Président parle mais il ne débat pas.
Il n’est donc plus parmi nous, mais il a suffisamment de représentants pour m’entendre, et c’est à lui que je veux m’adresser.
Monsieur le président donc,
Dans un monde où tout va si vite et où les exigences citoyennes sont si grandes, la puissance tient moins à la force que l’on impose qu’à l’adhésion que l’on suscite.
Vous avez au mois de mai, puis au mois de juin, acquis la légitimité du pouvoir, mais vous n’avez pas encore gagné l’adhésion des français, cela reste devant vous.
Créer cette adhésion tient en une phrase. Cette phrase n’est pas de moi, mais de Pierre Mendès France : « gouverner c’est choisir, si difficiles que soient les choix ».
Et Monsieur le Président, c’est bien le problème vous concernant. Vous avez décidé d’occuper le terrain par la verticale. Vous posez l’autorité. Vous mimez l’homme de décisions. Mais si l’on sort du champ de l’objectif, si l’on prend le contre-champ, l’image n’est plus aussi nette, pour ne pas dire qu’elle est floue.
Ce flou se résume en une tournure de langage. Cette tournure, elle est de vous, Monsieur le Président, et elle tient en trois mots : « en même temps ».
Mais Monsieur le Président,
Choisir ce n’est pas, à Bruxelles, en appeler à l’Humanité, prôner l’ouverture aux réfugiés et, en même temps laisser stigmatiser les associations et accepter que l’indignité s’installe aux abords de Calais,
Choisir ce n’est pas écrire que l’Etat d’urgence n’a pas vocation à durer et, en même temps, vouloir graver des mesures d’exception dans le marbre du droit commun,
Choisir ce n’est pas prétendre moraliser la vie publique et, en même temps, oublier vos engagements en matière d’incompatibilités entre mandat parlementaire et activité de conseil ou sur le casier judiciaire vierge,
Choisir ce n’est pas affirmer protéger le monde du travail et, en même temps, revenir sur le compte pénibilité, faciliter les licenciements ou plafonner les indemnités pour licenciement abusif,
Choisir ce n’est pas afficher la volonté d’augmenter le pouvoir d’achat des classes populaires et des classes moyennes et, en même temps, augmenter la CSG pour les retraités, pour mieux baisser l’impôt sur la fortune des actionnaires,
Choisir ce n’est pas affirmer la volonté d’en finir avec la taxe d’habitation qui est un impôt injuste et, en même temps, prévoir de le faire supporter aux collectivités locales avec pour résultat d’insupportables inégalités territoriales,
Choisir ce n’est pas crier au monde que nous devons rendre notre planète « great again » et en même temps, envisager de revenir sur l’interdiction des néonicotinoïdes,
On ne peut réformer la puissance publique sans en même temps évoquer la toute puissance des intérêts privés
Monsieur le Président, conduire une politique ET de gauche, ET de droite, c’est conduire une politique sans choix.
Nous partageons le même amour de la France, la même envie que notre pays retrouve sa grandeur, le même souci de servir au mieux nos concitoyens, mais, » en même temps « , mélanger l’eau froide et l’eau chaude cela n’a jamais donné que de l’eau tiède.
L’adhésion viendra donc de vos choix. Votre politique sera-t-elle synonyme de progrès pour tous?
Pour construire l’avenir, il ne suffit pas de valoriser ceux qui sont déjà les plus entreprenants tout en laissant penser que les autres ne sont « rien » !.. Vous devez reconnaître et accompagner tous les talents, tous les potentiels, combattre le gâchis humain que représentent le chômage, les discriminations, ou le décrochage scolaire !
Chacun peut apporter sa contribution à la construction de notre pays, c’est cela la promesse républicaine, celle d’une République généreuse, qui tend la main à tous ses enfants !
Les réformes, vous ne pourrez les réussir seul. À chaque fois que le nouveau pouvoir issu des urnes a pensé que sa légitimité était suffisante pour décider des réformes celles-ci ont échoué.
Parce que votre pouvoir est aujourd’hui absolu, vous devez vous en méfier, le tempérer, le modérer, le partager. Vous le devez au pays, vous le devez à vous même.
Méfiez-vous de la victoire, monsieur le président, elle peut être mauvaise conseillère. Nous avons vu à l’assemblée ces derniers jours, une majorité brouillonne – c’est excusable – mais surtout vorace, peu soucieuse du respect des droits de l’opposition, ce n’était pas un bon signal.
Méfiez-vous de la victoire, Monsieur le Président, elle peut conduire à un certain nombrilisme là où il faudrait au contraire renouveler notre démocratie. Ecoutez, concertez, respectez le temps nécessaire aux délibérations parlementaires, sollicitez la société civile – ce n’est pas un sésame pour être élu mais une source à laquelle puiser les solutions pour demain. Comme le disait Michel Rocard : « ce qui est accepté a infiniment plus de force que ce qui est imposé »
Tous les débats n’ont pas été tranchés avec votre élection, Ils restent ouverts et demandent à être instruits.
Méfiez-vous de vous même, Monsieur le Président, l’intuition qui vous a conduit au pouvoir par la grâce de l’épuisement des partis de gouvernement, si elle solde une période, n’en fonde pas pour autant une nouvelle : avoir réuni des femmes et des hommes issus des deux bords ne réinvente pas les clivages politiques.
Méfiez-vous de vous même, Monsieur le Président, votre jeunesse ne vous mets pas à l’abri de vous tromper d’époque. Vouloir conduire aujourd’hui, à la hussarde, des réformes empruntées au siècle passé, sans s’interroger sur les drames qu’elles ont générés, serait un contre-sens.
La qualité de vos réformes sociales dépendra du partage de leur construction avec les représentants des salariés dont le travail est la source même de toute richesse.
La réussite de la mobilisation du pays dépendra de votre soutien à l’initiative des citoyens, des associations, des entrepreneurs. La France doit rompre avec sa tentation colbertiste si bien représentée par la citadelle de Bercy.
Ferez-vous d’abord confiance aux françaises et aux français ?
Ferez-vous confiance aux territoires, aux Elus locaux, aux collectivités qu’ils dirigent ? Dans une République décentralisée, la nation ne peut réussir sans travailler main dans la main avec ses villes et ses communes, ses départements, ses régions. Réduire les dotations des collectivités, c’est mal prendre le chemin de la confiance et du partenariat dont la France a besoin.
M. Le Président dans les écoles de ma circonscription les enfants vous appellent désormais « Jupiter ».
C’est à la fois louangeur et moqueur. Comme vous le voyez nos enfants ont des lettres et du bon sens. Ils sentent bien que le chemin que vous prenez n’est pas celui d’un exercice équilibré du pouvoir, d’une citoyenneté active et d’une délibération ouverte et partagée. L’exercice suranné qui nous réunit aujourd’hui, la malheureuse gestion des postes de responsabilité à l’Assemblée Nationale, votre refus de répondre aux questions des journalistes le 14 juillet, nous tournent vers le passé plus que vers l’avenir, un passé qui nous a déjà montré l’impasse du pouvoir personnel, alors que votre marche esquissait un avenir fondé sur la rénovation de la vie politique par la valorisation de la diversité, du pluralisme, et de l’engagement de chacun.
J’achève mon propos.
Monsieur le président de la République,
chaque fois que vos décisions conduiront la France sur les chemins d’un progrès partagé, nous serons là pour approfondir et consolider.
Mais à chaque fois que vos décisions auront pour effet d’accroitre les inégalités, de précariser les plus désarmés, d’affaiblir les services publics qui sont le patrimoine de ceux qui n’ont rien mais qui ne sont pas « rien », vous rencontrerez notre ferme opposition.
Vous vous êtes engagé à faire entrer la politique dans une nouvelle ère et la France dans un nouveau monde, nous vous jugerons donc sur vos actes et sur vos actes uniquement. Ce sera notre contribution à cette rénovation attendue. Dans ce nouveau monde, il y aura aussi une NOUVELLE GAUCHE. »