Les normes de diététique et d’hygiène sont une cible de choix pour la critique sociologique, qui s’emploie à les relativiser et à en dénoncer l’arbitraire. Elle peut aussi étudier les conditions de leur production et de leur réception, estimer leurs chances de succès auprès des différents groupes sociaux, en prenant appui sur l’étude sociologique des pathologies que ces normes combattent, surpoids et obésité.
J’ai été confronté aux risques épistémologiques du métier de sociologue dès mes premiers travaux, sur l’enseignement technique. Plus je poussais la critique sociologique, plus j’essayais de réduire des savoirs et des normes relatifs à l’action sur les choses à leurs aspects arbitraires et à leurs fonctions sociales, et plus je risquais de manquer ce qui fait la spécificité de cet enseignement par rapport à l’enseignement dominant (général, supérieur et littéraire), à propos duquel avaient été conçus les notions et les schèmes explicatifs que je m’efforçais de lui appliquer. C’est ainsi que j’ai commencé à prendre conscience des déficits descriptifs et explicatifs auxquels se condamne la sociologie la plus exigeante, la plus ambitieuse, la plus soucieuse d’étendre sa capacité et son pouvoir d’explication, bref la plus sociologisante, quand elle cède à un sociologisme qui ignore par principe les composantes extra-sociales (techniques, biologiques, physiques, etc.) des faits sociaux. Les recherches que j’ai menées ensuite, avec Christiane Grignon, sur l’alimentation m’ont posé le même problème. Élaboré par et pour l’étude de la culture savante (sociologie de l’éducation, sociologie de l’art), l’appareil théorique dont nous disposions ne permettait pas de rendre compte de la diversité des modes de vie, des savoirs faire et des savoirs vivre populaires [1]. Le constat des inégalités devant la culture peut conduire à ne voir dans les cultures populaires que des cultures dominées, qu’on ne peut décrire que par référence aux cultures dominantes, c’est-à-dire par défaut, comme des manques. J’ai été ainsi amené à décrire et à caractériser, avec Jean-Claude Passeron, la dérive légitimiste dont la critique sociologique de l’ordre social est menacée
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