Pour bien comprendre Michel Rocard, il fallait l’écouter jusqu’au bout. Jusqu’au bout de sa logique. Jusqu’au bout de ses formules. Jusqu’au bout de ses argumentations. Ce n’était pas toujours facile… seul le point final donnait quitus pour interpréter la vérité, parfois complexe et toujours subtile, de son propos. La précipitation menait invariablement à l’imprudence. Ainsi, depuis plus de vingt-cinq ans, bon nombre d’observateurs politiques ont préféré faire une exploitation sélective, très intéressée, des différentes versions de «la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde…» Recomposée après plusieurs variations sur un même thème entre 1989 et 1993, cette célèbre citation a été régulièrement amputée de sa chute : «…mais elle doit en prendre toute sa part». Toute la force du message était pourtant contenue dans cette conclusion volontariste, l’attaque n’exprimant que la nuance. A la fin de sa vie, soucieux d’en finir avec la controverse, Michel a choisi des mots beaucoup plus crus pour dire sa «honte» devant le sort réservé aux réfugiés par une Europe dénaturée : «Une somme de pays [qui] négocie le moyen de limiter le nombre de migrants qu’ils vont recevoir. Tout cela est abominable.»
Une chose est claire : pour lui, et pour nous, «les rocardiens», la solidarité qui transcende les frontières n’est pas seulement une idée, un point de vue, un concept qui resterait à débattre ou, pire, un quota parcimonieux à calculer. C’est un devoir. C’est une dignité. Une «part» d’humanité non négociable dont, hélas, les opinions publiques délèguent la charge aux gouvernements, habitude bien commode, quand elle devrait être partagée par la société tout entière.
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