Il y a 70 ans, le Père Noël conquérait la France, image pour Lévi-Strauss d’une générosité bienveillante et d’une amélioration de nos rapports à la mort. Depuis, de nouveaux rituels ont fait resurgir une violence hivernale déchaînée. Comme si nous faisions le deuil d’une société d’abondance.
Il y a tout juste 70 ans, en 1951, un sympathique vieillard était mis au bûcher sur le parvis de la cathédrale de Dijon en présence de centaines d’enfants : le Père Noël. Il s’agissait pour le clergé dijonnais de protester contre une paganisation inquiétante de la fête de la Nativité. Les célébrations profanes de Noël connaissaient en ces années une ampleur inconnue avant-guerre et la figure nouvelle du barbu au manteau rouge était le symbole de cette transformation.
Quelques mois après cet autodafé et le scandale qui s’ensuivit, Claude Lévi-Strauss s’est intéressé dans un article délicieux et pénétrant, « Le Père Noël supplicié », à ce nouveau Noël et à son parfum de paganisme. Il écarte d’abord une première explication qui invoquerait l’influence et le prestige des États-Unis à qui le personnage du Père Noël est directement emprunté. Certes le plan Marshall a contribué à l’introduction du nouveau Noël, mais le modèle diffusionniste n’explique pas tout. Si l’emprunt prend racine, c’est parce qu’il vient satisfaire une exigence et des attentes qui ne trouvaient pas sans lui de moyen d’expression. Les éclats de la fête de Noël des années 1950 ne sont ni le reliquat d’une tradition archaïque ni une innovation arbitraire. Lévi-Strauss met ainsi dos à dos la théorie des « survivances » et un paradigme qui sera développé plus tard par Eric Hobsbawm et Terence Ranger (1983), celui de l’« invention de la tradition ».
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