FIGAROVOX/TÉMOIGNAGE - La philosophe Alexandra Laignel-Lavastine, qui habite en Seine-Saint-Denis, a interrogé les jeunes de son quartier dès le matin du 14 novembre. Les propos qu'elle a recueillis sont glaçants.
Alors qu'en ce lugubre matin du samedi 14 novembre, la France était en état de choc et le monde glacé d'effroi, comment les jeunes de mon quartier, dans le 93, avaient-ils vécu, eux, les carnages de la nuit? Un vague espoir m'avait saisi: et si les tueurs islamistes venaient, par ce bain de sang, de s'aliéner un peu leurs admirateurs de banlieue, généralement fascinés par leurs «exploits guerriers»?
Dans cet univers clos et à la dérive, où la fêlure morale est souvent vertigineuse, le principe qui prédomine est en effet celui de la valeur contraire. Les décapitations en ligne, les prières de rue et le voile intégral horrifient ou dérangent? Ils «kiffent» puisqu'ils «niquent la France». Mais cette fois? Se pouvait-il que les images atroces des tueries les laissent de marbre et ne suscitent pas l'ombre d'un écœurement ou d'une identification aux victimes? En s'en prenant au public jeune et festif d'un concert de rock ; pis, en ciblant les spectateurs d'un match de foot, leur passion, de surcroît au Stade de France, situé à quelques encablures de là et où ils auraient tous pu se trouver, les tueurs de Daech n'avaient-ils pas commis une erreur d'appréciation ?
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