Par Gaël Giraud, économiste en chef de l’Agence Française de Développement (AFD), directeur de la Chaire Energie et Prospérité, et directeur de recherche au CNRS.
Plusieurs voix “autorisées” se sont récemment exprimées pour en appeler à une révision fondamentale des modèles utilisés en économie. Joseph Stiglitz, ancien économiste en chef de la Banque Mondiale, par exemple, estime que lesdits modèles sont radicalement erronés et qu’il faut tout réécrire[1]. Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du Fonds Monétaire International (FMI) déclarait en 2013 qu’il convient de “changer de logiciels d’analyse”[2]. Thomas Piketty[3] enfin, reconnaît que l’analyse qui sous-tend son propre livre ---un best-seller mondial--- est largement à revoir : les “lois fondamentales du capitalisme” sur lesquelles l’ouvrage est construit ne sont pas des “lois”, n’ont pas de caractère fondamental et ne caractérisent pas le capitalisme.
Il est vrai que de nombreux phénomènes contemporains remettent largement en cause les doctrines économiques conventionnelles. Ainsi, selon l’analyse traditionnelle, le déluge monétaire orchestré par presque toutes les Banques centrales de l’hémisphère nord –la quantité de monnaie émise par les Banques centrales double tous les trois ans en moyenne depuis 2007-- aurait dû provoquer de l’inflation. Rien de tel n’a été observé, au contraire. De même, l’explosion de la dette publique des Etats-Unis (supérieure à 125% du PIB américain) aurait dû induire une hausse des taux d’intérêt auxquels cet Etat emprunte sur les marchés : les taux ont baissé. Ou encore : l’augmentation depuis trois décennies de la part des profits dans le PIB de la plupart des pays industrialisés aurait dû provoquer une augmentation de l’investissement : celui-ci est constamment en baisse depuis lors. Enfin, les programmes d’austérité budgétaire dans les pays du sud de l’Europe auraient dû conduire à un assainissement de leurs finances publiques et donc à une reprise de la croissance : on constate, à l’inverse, que les pays qui sont allés le plus loin dans l’austérité (relativement à leur budget) sont exactement ceux dont le PIB a chuté le plus vite depuis 2008. Quant à l’explosion des inégalités de patrimoine dans les pays riches, elle provient essentiellement des bulles liées aux rentes immobilière et financière, et non pas d’une logique tragique, immanente au capitalisme.
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