MARIANNE : La crise que traverse la France est-elle, d'abord et avant tout, comme on le répète aujourd'hui une crise identitaire ?
Jean-Pierre Le Goff : Cette crise a plusieurs facettes. Le pays est désorienté non seulement sur le plan social, mais sur les plans culturel et politique. Comme je le montre dans mon livre, les fractures au sein de notre société ne sont pas seulement d'ordre économique et social mais anthropologique et politique : elles mettent en jeu des conceptions différentes du rapport au réel, à la condition humaine, à la nation et à l'Europe... Sur la question de l'identité, on tend trop souvent à réduire celle-là à l'acception maurrassienne avec le faux choix entre une vision identitaire essentialiste et une fuite en avant dans le multiculturalisme invertébré : soit le choix du repli identitaire xénophobe et chauvin, soit celui de l'ouverture inconsistante et illimitée, avec une mauvaise conscience et un angélisme déconcertants concernant les autres peuples du monde. Il existe un doute profond sur notre héritage culturel et politique. Nous nous retrouvons ainsi gravement désarmés face aux ennemis qui veulent notre perte. Il nous faut répondre à la question de savoir à quoi nous tenons parmi tout ce qui nous a été légué par les générations antérieures, ce qui nous spécifie comme nation et ce qui spécifie l'Europe comme civilisation, y compris dans le domaine des mœurs dont on découvre naïvement, avec Cologne, qu'elles ne sont pas la chose du monde la plus partagée. Ce qui implique d'en finir avec ce méli-mélo de grandes valeurs généreuses et de bons sentiments en guise d'identité tout autant qu'avec les fondamentalismes.
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